Angelo vs. Austin Theory
16 septembre 2022L'air était saturé autour de moi, la respiration des gens ici était si précieuse qu'ils semblaient tous retenir l'instant où elle arriverait. Il devait être quelques minutes avant minuit, l'aiguille horlogère de la grande salle était déréglée de quelques minutes, c'était toujours comme ça, pour faire paraître le temps plus long à ceux qui avaient une montre sur eux. Elle cliquetait légèrement aussi lentement que les paupières de ceux qui attendaient depuis le plus longtemps se fermait embuées par la fatigue. Il y avait une légère odeur de lavande qu'une bougie qui se consumait sur une table offrait aux nez de tous si bien que certains devaient regretter d'avoir celui de Cyrano car elle avait forte tendance à enrouer ceux qui n'aimaient pas cette odeur mais aucun d'entre eux n'oserait la faire taire. Ils la supporteraient tous pendant combien ? Une, deux, trois, peut-être même des dizaines d'heures plutôt que de l'éteindre car cela aurait constitué un affront dont on se passait bien dans notre position.
Deux hommes gardaient la porte, l'un d'entre eux avait été là pour mon combat. Il avait un nez fin, un sourire qui mettait mal à l'aise comme tout bon napolitain savait les faire, des yeux légers où flottait un voile qui troublait légèrement le bleu de ses yeux, ses cheveux gominés avaient trouvés refuge sous un chapeau qui n'en laissait apparaître que les côtés parfaitement coiffés à l'italienne. Depuis le début, il n'avait pas dit un mot, silencieux comme un mort, il observait défiler les hommes un par un, il en voyait sortir certain par cette porte, d'autres sortaient par celle de derrière.. en général il fallait mieux ressortir à la vue de tous et tous le savait. Le second était plus vocal, c'était un homme plus grand que son précédent, peut-être deux pieds de plus, il avait un embonpoint certain, une légère moustache qui lui aurait pu valoir d'être britannique si son accent encore fortement marqué par sa naissance à Sciacca ne l'avait pas vilement trahis. Deux petites lunettes rondes trônait sur un nez si lourd que l'on aurait cru qu'il eut put en supporter cent des comme ça, enfin, il y avait un air mesquin chez lui, un de ces airs de ces hommes qui n'ont rien fait dans leur vie mais qui vivent dans la gloire d'un autre.
J'ignorais tout du premier nommé, le second avait pour nom Giovanni, c'était l'homme à tout faire de Don Salieri, toujours affublé d'un costume, comme nous tous, il avait la fâcheuse réputation de profiter de sa position sans vergogne pour extorquer pour son propre profit. Don Salieri le laissait faire moins parce qu'il était compétent que parce qu'il avait pour lui une affection dont aucun ne comprenait l'origine, certains prétendaient que Salieri connaissait l'homme depuis l'Italie quand il était alors un
bambino et qu'il était le fils d'un ami du Don. Sans doute aurait-on un jour le fin mot de l'histoire mais ce jour-là sa voix nasillarde prononça mon nom : "
D'Angelo, Tony." Il avait une façon d'insister sur les voyelles qui rendait encore plus insupportable que d'entendre son nom dans cette demeure et il le savait bien.
Sans un mot, je me fis debout et quelques pas plus tard, j'étais au niveau de son acolyte qui, toujours sans un mot, avait fouillé mon costume de près pour vérifier qu'aucune arme n'avait trouvé refuge sur moi pour venir blessé mortellement l'homme qui les payait plus que gracieusement. Lorsqu'il fut certain que je ne cachais rien, Giovanni m'ouvrit la porte dans un geste peu gracieux, plein de lourdeur et qui laissait entrevoir son manque flagrant de servilité. Quelques pas plus tard et j'étais face à trois hommes qui m'observaient, trois paires d'yeux, six yeux qui m'observaient à plus ou moins d'intensité. Ils connaissaient tous ma famille, sans aucune exception, savaient qui était mon grand-père, qui était mon père, connaissait mon neveu, sans doute savaient-ils même quels étaient mes seconds et troisième prénom sans que je ne le sache moi-même.
"
Tony, entre." La première fois qui s'était élevé n'était pas celle du Don, c'était celle de Lorenzo Bacca. Lorenzo était un
caporegime, il avait en charge les affaires de la famille sur les jeux d'argents et la main sur énormément de casinos et d'hippodromes dans le coin, c'était un type rusé et surtout un type qui avait dans sa main de nombreux puissants qui pouvaient pas s'empêcher de dilapider leur argent dans des futilités. Derrière les mêmes lunettes rondes, la lueur était tout à fait différente, un regard marron, presque verdâtre à certains endroits, avec un éclair qui laissait paraître parfois combien de génie il y avait derrière ces presque trente années à servir la famille. En trente ans, il n'avait jamais subit une seule arrestation et il avait les mains les plus propres des quatre caporegime de la famille, à tel point que si l'on ne l'avait pas connu l'on aurait sûrement dit qu'il était simplement un homme d'affaire particulièrement fin sur ses placements. Ses cheveux grisés lui donnait d'autant plus une crédibilité, qu'il avait l'air d'un de ces vieux hommes sages qui avait vu de la vie plus que nul autre n'en verrait en dix.
En face de lui avait pris place Guccio Basciamo, un homme bien plus jeune que lui, c'était le consigliere de Don Salieri, il avait hérité de la fonction comme si elle avait été héréditaire. S'il ressemblait physiquement à son paternel, il avait les mêmes yeux noisettes, le même sourire charmeur et la même facilité avec les femmes. Il était bien loin d'être aussi calme que lui et il avait une forte tendance à s'emporter pou rien, pour du vent, parfois simplement pour exister dans une conversation dont il ne maîtrisait soit pas le sujet soit pas les enjeux. C'était le plus craint des trois mais le moins respecté et de loin, il faut dire qu'à vingt-cinq ans, on a rarement les capacités d'être aussi respectés et respectable qu'un vieux Bacca à soixante cinq ans révolus. Il ne dit rien à mon entrée mais je voyais déjà qu'il était en colère après moi, ses yeux trahissaient les sentiments que ses lèvres ne pouvaient pas exprimer.
Enfin.. dans un grand siège de velour noir, un verre à la main, Don Salieri me toisait comme s'il fut été au sommet d'une tour d'ivoire et que, moi en bas, n'avais-je l'air à ses yeux que d'une minuscule fourmi qu'il pouvait écraser à chaque instant que Dieu lui donnait. Amerigo Salieri portait bien son nom, il était arrivé comme l'enfant prodige dans une famille italienne déjà très puissante, troisième enfant, il avait été envoyé aux Etats-Unis pour étendre l'influence de la famille Salieri et avait tellement bien réussis qu'il était sans doute un homme bien plus puissant et régnant sur bien plus de territoires que ses frères italiens. Chez lui, comparé aux autres, il y avait quelque chose de différent qui ne tenait même pas au charisme, qui ne tenait même pas à l'humanité, une beauté froide, intemporelle, où rien ne se dessinait aucun instant ni de bonheur ni de malheur.. n'y avait-il peut-être même aucune vie derrière ces yeux bleus, ce visage de cire rasé de près. Parfois, il ouvrait la bouche pour gouverner et tous se pliait devant lui comme s'il eut été un Dieu qui avait crée lui-même sa fortune pour montrer à tous les autres comme l'on fabriquait un monde.
Oubliant presque un instant de respirer, je me fis minuscule à mesure que j'approchais de cet homme plus que des autres et attendant pour tirer la chaise, il me fit un geste de la main pour m'inviter à prendre place autour de cette table où trois des plus puissants hommes de cette partie du pays étaient assis à m'observer de toute leur puissance respective alors que je n'étais rien d'autre qu'un homme qui n'avait été chargé que de boxer pour faire vivre la famille par des paris illégaux. Bacca avait un léger sourire face à ce malaise qu'il était difficile de ne pas percevoir et fut le premier à ouvrir la bouche pour tenter d'en dissiper l'existence : "
Tony, nous voulons parler de ce qu'il s'est passé avec ton précédent adversaire." Il avait cette retenue dans la façon dont il parlait qui avait cette méchante faculté à vous réconforter et tandis qu'il finissait sa phrase, sa main était partie chercher dans une petite boite une cigarette fine comme seules les femmes en fumaient il y a quelques dizaines d'années, la portant à sa bouche, il avait sorti de l'autre main un briquet métallique dont la flamme s'était empressée d'allumer ce qui sans doute le tuerait d'ici quelques années si ce n'était pas un homme. "
Nous t'avons charger de réussir à faire rentrer la famille dans ce milieu en remportant quelques combats, comprends-tu que si tu ne te montrés pas très tôt à la hauteur.. tu risques d'entacher notre capacité à nous développer rapidement ?" Tout en parlant comme à un enfant, il utilisait des mots que seul un adulte pouvait comprendre. "
Plus précisément, nous attendons ta réussite pour lancer d'autres combattants à tes côtés et si tu perds, personne ne voudra être tenté d'investir sur des combattants italiens."
De l'autre côté de la table, Basciamo semblait fumé de toute part comme si l'on l'eut mis sur un feu de cheminée et qu'il eut été une bouilloire en céramique prête à exploser : "
Combien va t-il te prendre de temps pour lui dire à ce stupido qu'il est en train de nous coûter un pognon de dingue dont nous avons besoin ailleurs." Il avait laissé exploser ce qu'il pensait intérieurement depuis l'annonce du rendez-vous mais en voyant pivoter la tête majestueuse de Don Salierni vers lui, il avait presque terminé sa phrase en avalant ses mots. S'il était craint de tous, il n'en craignait qu'un seul suffisamment puissant pour le faire taire. Dans ces instants-là celui qui se faisait surnommé par ces hommes Basciamo le Magnifique ne devenait pas grand chose de plus qu'une flaque d'eau que l'on eut peut-être même pas pu ramasser à l'aide d'une vulgaire
strofinacci.
L'on eut l'impression alors que le vieux sicilien allait parler mais Bacca reprit la parole : "
Ce que voulait dire Guccio c'est que si le temps n'est pas un problème, l'argent en est un." Il reprit quelques instants, d'abord pour extraire sa cigarette quelques instants de bonheur mais aussi parce qu'il prenait plaisir à torturer la patience de Basciamo d'autant plus quand celui-ci avait compris que toute intervention trop virulente de sa part pouvait être sanctionné par Salierni lui-même. "
En conséquence et pour t'aider à nous aider à relancer l'affaire, nous avons consentis de te trouver un adversaire à ta portée, un jeune homme nommé Austin, un américain, un type qui ne poserait pas trop de problèmes à acheter en temps normal." Il avait insisté sur le normal qui soulignait bien la problématique qui allait suivre. "
En temps normal aurait signifié si tu avais résolument mis au sol pour de bon ton dernier adversaire mais dans cette situation-là, les partenaires potentiels ne veulent rien entendre." Son ton était devenu un instant plus dur trahissant sans doute qu'au-delà de ces manières, il était tout autant agacé par Guccio de la situation.
"
Je suis prêt à l'affronter sans problème." J'avais balbutié quelques mots comme pour contenter tout le monde mais Bacca n'en avait pas finis : "
C'est un homme de famille, lui aussi, il ne se bat pas pour lui-même, il se bat pour mettre à l'abris sa famille et sa meilleure façon de le faire c'est de remporter des combats." Il avait déposé dans le cendrier à sa gauche, de l'autre côté du Don, sa cigarette, avait passé sa main sur sa bouche pour frotter sa barbe et avait continué sa phrase sans se soucier de ma réponse précédente : "
Il pense sans doute tu es un adversaire facile désormais, il aurait tort de ne pas le penser." Son regard se fit plus pesant sur mes épaules. "
C'est ce que ton incapacité à l'emporter provoque, tes adversaires se sentent plus fort là où tu parais le plus faible alors profites-en, profite de sa confiance et de son manque d'humilité pour le vaincre et quand tu l'auras battu revient ici, si tu nous donnes satisfaction, l'on t'offriras de l'argent pour couvrir les dépenses de dix familles réunies." Loin d'être dupe j'avais parfaitement confiance que la chose ne serait pas si simple et Guccio reprit la parole, plus doucement qu'auparavant. "
La famille est une force mais aussi une faiblesse, si tu veux gagner, réfléchis à l'affaiblir auparavant, si ses parents sont ses jambes alors rends-le infirme, si sa sœur est ses yeux alors rends-le aveugle."
Le Don fut le dernier à m'offrir quelques paroles lors de cette entrevue, ses lèvres gelées lâchèrent quelques mots qui résonnaient aussi bien comme un ultimatum que comme une bonne chance : "
Va, figlio mio, il Don perdona solo una volta, la seconda, punisce." Il n'y eut pas de mots pour découvrir la voix que mes oreilles entendirent parce qu'il n'y en avait pas le besoin. Reculant, je me fis dehors plus vite que je n'étais entré et Giovanni m'observait, un sourire jusqu'aux oreilles comme à chaque fois qu'un convive ressortait avec l'impression d'être le plus chanceux des hommes alors qu'il n'avait que pour seule qualité celle d'être encore en vie.
En parlant de vie, il était sans doute l'heure que je sauve la mienne.